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Plumes
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28 août 2009

Défi : Dans la nuit.

Il est entre une et cinq heures du matin. Vous pouvez choisir le contexte, le lieu, les personnages, l'action. Dérouillez vos claviers ! Vous avez une heure et demi, donc jusqu'à 23 heures ce soir.

Les urgences. Alors que tout le monde dort, alors que le silence règne sur la ville et que les chats errants semblent seuls seigneurs des rues, voilà un monde qui ne s'est pas arrêté.

Il doit être environ deux heures et demi. La montre de l'interne en chirurgie occupé à faire une suture indique deux heures vingt-neuf, celle d'une jeune fille venant d'entrer en salle d'attente deux heures trente-cinq, l'horloge murale au dessus du bloc opératoire n°1 deux heures trente-trois. Le vieux réveil posé sur une table, dans la salle de garde, indique cinq heures cinquante-cinq, mais cela fait un bon moment que personne n'a songé à en changer les piles. Pas le temps.

L'horloge du bloc n°1 indique maintenant deux heures trente-quatre. Le chirurgien à l'œuvre ne semble pourtant pas fatigué, il œuvre avec une précision et une adresse spectaculaires pour les néophytes. Mais ceux qui l'entoure ne sont pas des amateurs, ils ont l'habitude, ce genre d'opération est presque une routine désormais. Le seul homme qui aurait pu admirer son talent à cette heure-ci est couché sur la table d'opération, endormi et la poitrine ouverte. Il n'est donc pas en mesure d'apprécier le travail réalisé et ne se rendra compte de sa perfection que quelques heures plus tard, quand il se réveillera et que l'aide-soignante lui confirmera que l'opération s'est bien passée.

Quelques couloirs plus loin, on entend un cri. Quelqu'un meurt. L'infirmière de garde apostrophe un de ses sous-fifres, l'envoie chercher du matériel, appeler un médecin. Des gens courent, se croisent sans se toucher. Tout ici semble organisé de façon presque mécanique, tout va remarquablement vite sans que rien ne se heurte, les paroles se font rares. Ce n'est pas un couloir dans lequel l'ambiance permet de passer une nuit apaisante.

Dans la salle d'attente des urgences, la montre de la jeune fille vient de passer à deux heures quarante-deux. Elle soupire. Quelqu'un a pris en charge l'ami qu'elle vient d'amener et s'en est allé, sans en dire beaucoup. Il a posé deux ou trois questions dont elle ne connaissait pas la réponse, et l'a renvoyée se rasseoir. Pour attendre. De toute façon, autour d'elle, on ne fait que ça. Un vieil homme soutient un autre plus jeune, qui ne parvient pas à s'appuyer sur une de ses jambes. Une famille est entassée dans un coin, les enfants dorment les uns sur les autres, les parents boivent du café en échangeant quelques mots inquiets. Lorsqu'un médecin passe, des regards plein d'espoir se lèvent vers lui, il les repousse d'un geste, se penche vers la secrétaire, puis appelle un nouveau nom.

L'interne en chirurgie retient un grognement. Sa garde aurait du s'être arrêtée il y a plusieurs heures, mais quand les urgences sont à ce point surchargées, il n'est pas question de partir. Il soupire, puis appelle son prochain patient. Une enfant qui tousse continuellement. Son visage est rouge vif, ses traits crispés. Les parents volètent autour d'elle, angoissés, le médecin les repousse d'un geste, agacé. Il n'a rien contre les enfants, mais les parents l'agacent. Ils le gênent, l'empêchent de travailler en toute quiétude. C'est d'ailleurs pour ça qu'il a choisi la chirurgie, parce qu'il croyait qu'il serait continuellement au bloc, et qu'il ne verrait les patients que profondément endormis. Il s'est trompé, apparemment.

L'opération du bloc n°1 se termine, le cardiologue sort de la salle et retire son masque. Il jette un coup d'œil à sa montre. Deux heures cinquante-cinq. Il aimerait rentrer se coucher, mais il sait qu'une autre intervention l'attends, d'ici une heure. Il a à peine le temps d'aller faire une sieste en salle de garde.

La jeune fille fait les cent pas. L'ami qu'elle a emmené est en très mauvais état, elle le sait. Elle sait aussi pourquoi. Elle sait qu'elle aurait pu éviter ça, si elle avait tenté de l'empêcher de boire. Mais elle ne l'a pas fait, alors elle a pris le volant dans la nuit pour l'emmener ici, où la secrétaire lui a envoyé un regard méprisant et supérieur quand elle a expliqué ce qui leur arrivait.

Un nouveau cri, deux étages plus haut. Une femme vient d'accoucher par césarienne. L'enfant à peine né hurle à plein poumons, sa mère est en si piteux état que l'équipe se renforce pour assister l'obstétricien. Ce dernier a les sourcils froncés, il demande de nouvelles poches de sang. L'heure qui va suivre sera difficile.

L'interne envoie l'enfant en pédiatrie, il préfère la garder en observation. Nouveau soupir, regard vers son prochain patient. C'est l'homme qui se déplace sur un pied. L'autre jambe semble paralysée. Il jette un regard désespéré vers la sortie, se demandant ce que les internes en médecine générale peuvent bien faire pour qu'il se retrouve avec des cas non chirurgicaux. En se levant pour aller chercher une aiguille, il croise une jeune femme, échange un léger sourire avec elle. Leurs corps se frôlent, puis se séparent prestement.

Trois heures quinze. Une nouvelle ambulance arrive, déchirant la nuit de ses cris étourdissants. Une nouvelle équipe s'affaire autour de la civière. Les gestes sont précis, rapides et assurés, on sent qu'il y a urgence mais que ceux qui œuvrent savent ce qu'ils font. Du matériel, posé sur un chariot dont les roulettes grincent atrocement, est amené par un autre interne. Le rythme des mouvements accélère, on a l'impression qu'ils dansent.

Quelques personnes sorties pour fumer observent avec ébahissement le ballet parfaitement organisé. Ils ne comprennent pas, ils sont étrangers à ce monde là, mais ils discernent l'étrange ambiance qui règne la nuit.

Quatre heures quarante-six. Le rythme général s'est ralenti, la majorité des patients dorment, le bloc n°1 est vide. L'interne est rentré chez lui, l'adolescente somnole sur un fauteuil, la famille est toujours là, le vieil homme est reparti. Le chirurgien cardiologue discute avec une infirmière, l'obstétricien affiche une expression renfermée. Il vient de laisser mourir une femme, et va devoir l'annoncer à son mari d'ici quelques heures.

Quatre heures cinquante-neuf. Les aides-soignantes et les infirmières s'apprêtent à laisser la place aux équipes de jour, certains médecins viennent d'arriver, d'autres sont sur le point de repartir. Le service des urgences semble encore endormi, il faut en profiter, l'accalmie ne dure en général pas plus de trois heures. La journée sera longue, mais après il faudra enchaîner sur une autre nuit, presque identique à celle-ci...

21 aout 2009

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