Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Plumes

Plumes
Publicité
Archives
28 août 2009

Défi : Dans la nuit.

Il est entre une et cinq heures du matin. Vous pouvez choisir le contexte, le lieu, les personnages, l'action. Dérouillez vos claviers ! Vous avez une heure et demi, donc jusqu'à 23 heures ce soir.

Les urgences. Alors que tout le monde dort, alors que le silence règne sur la ville et que les chats errants semblent seuls seigneurs des rues, voilà un monde qui ne s'est pas arrêté.

Il doit être environ deux heures et demi. La montre de l'interne en chirurgie occupé à faire une suture indique deux heures vingt-neuf, celle d'une jeune fille venant d'entrer en salle d'attente deux heures trente-cinq, l'horloge murale au dessus du bloc opératoire n°1 deux heures trente-trois. Le vieux réveil posé sur une table, dans la salle de garde, indique cinq heures cinquante-cinq, mais cela fait un bon moment que personne n'a songé à en changer les piles. Pas le temps.

L'horloge du bloc n°1 indique maintenant deux heures trente-quatre. Le chirurgien à l'œuvre ne semble pourtant pas fatigué, il œuvre avec une précision et une adresse spectaculaires pour les néophytes. Mais ceux qui l'entoure ne sont pas des amateurs, ils ont l'habitude, ce genre d'opération est presque une routine désormais. Le seul homme qui aurait pu admirer son talent à cette heure-ci est couché sur la table d'opération, endormi et la poitrine ouverte. Il n'est donc pas en mesure d'apprécier le travail réalisé et ne se rendra compte de sa perfection que quelques heures plus tard, quand il se réveillera et que l'aide-soignante lui confirmera que l'opération s'est bien passée.

Quelques couloirs plus loin, on entend un cri. Quelqu'un meurt. L'infirmière de garde apostrophe un de ses sous-fifres, l'envoie chercher du matériel, appeler un médecin. Des gens courent, se croisent sans se toucher. Tout ici semble organisé de façon presque mécanique, tout va remarquablement vite sans que rien ne se heurte, les paroles se font rares. Ce n'est pas un couloir dans lequel l'ambiance permet de passer une nuit apaisante.

Dans la salle d'attente des urgences, la montre de la jeune fille vient de passer à deux heures quarante-deux. Elle soupire. Quelqu'un a pris en charge l'ami qu'elle vient d'amener et s'en est allé, sans en dire beaucoup. Il a posé deux ou trois questions dont elle ne connaissait pas la réponse, et l'a renvoyée se rasseoir. Pour attendre. De toute façon, autour d'elle, on ne fait que ça. Un vieil homme soutient un autre plus jeune, qui ne parvient pas à s'appuyer sur une de ses jambes. Une famille est entassée dans un coin, les enfants dorment les uns sur les autres, les parents boivent du café en échangeant quelques mots inquiets. Lorsqu'un médecin passe, des regards plein d'espoir se lèvent vers lui, il les repousse d'un geste, se penche vers la secrétaire, puis appelle un nouveau nom.

L'interne en chirurgie retient un grognement. Sa garde aurait du s'être arrêtée il y a plusieurs heures, mais quand les urgences sont à ce point surchargées, il n'est pas question de partir. Il soupire, puis appelle son prochain patient. Une enfant qui tousse continuellement. Son visage est rouge vif, ses traits crispés. Les parents volètent autour d'elle, angoissés, le médecin les repousse d'un geste, agacé. Il n'a rien contre les enfants, mais les parents l'agacent. Ils le gênent, l'empêchent de travailler en toute quiétude. C'est d'ailleurs pour ça qu'il a choisi la chirurgie, parce qu'il croyait qu'il serait continuellement au bloc, et qu'il ne verrait les patients que profondément endormis. Il s'est trompé, apparemment.

L'opération du bloc n°1 se termine, le cardiologue sort de la salle et retire son masque. Il jette un coup d'œil à sa montre. Deux heures cinquante-cinq. Il aimerait rentrer se coucher, mais il sait qu'une autre intervention l'attends, d'ici une heure. Il a à peine le temps d'aller faire une sieste en salle de garde.

La jeune fille fait les cent pas. L'ami qu'elle a emmené est en très mauvais état, elle le sait. Elle sait aussi pourquoi. Elle sait qu'elle aurait pu éviter ça, si elle avait tenté de l'empêcher de boire. Mais elle ne l'a pas fait, alors elle a pris le volant dans la nuit pour l'emmener ici, où la secrétaire lui a envoyé un regard méprisant et supérieur quand elle a expliqué ce qui leur arrivait.

Un nouveau cri, deux étages plus haut. Une femme vient d'accoucher par césarienne. L'enfant à peine né hurle à plein poumons, sa mère est en si piteux état que l'équipe se renforce pour assister l'obstétricien. Ce dernier a les sourcils froncés, il demande de nouvelles poches de sang. L'heure qui va suivre sera difficile.

L'interne envoie l'enfant en pédiatrie, il préfère la garder en observation. Nouveau soupir, regard vers son prochain patient. C'est l'homme qui se déplace sur un pied. L'autre jambe semble paralysée. Il jette un regard désespéré vers la sortie, se demandant ce que les internes en médecine générale peuvent bien faire pour qu'il se retrouve avec des cas non chirurgicaux. En se levant pour aller chercher une aiguille, il croise une jeune femme, échange un léger sourire avec elle. Leurs corps se frôlent, puis se séparent prestement.

Trois heures quinze. Une nouvelle ambulance arrive, déchirant la nuit de ses cris étourdissants. Une nouvelle équipe s'affaire autour de la civière. Les gestes sont précis, rapides et assurés, on sent qu'il y a urgence mais que ceux qui œuvrent savent ce qu'ils font. Du matériel, posé sur un chariot dont les roulettes grincent atrocement, est amené par un autre interne. Le rythme des mouvements accélère, on a l'impression qu'ils dansent.

Quelques personnes sorties pour fumer observent avec ébahissement le ballet parfaitement organisé. Ils ne comprennent pas, ils sont étrangers à ce monde là, mais ils discernent l'étrange ambiance qui règne la nuit.

Quatre heures quarante-six. Le rythme général s'est ralenti, la majorité des patients dorment, le bloc n°1 est vide. L'interne est rentré chez lui, l'adolescente somnole sur un fauteuil, la famille est toujours là, le vieil homme est reparti. Le chirurgien cardiologue discute avec une infirmière, l'obstétricien affiche une expression renfermée. Il vient de laisser mourir une femme, et va devoir l'annoncer à son mari d'ici quelques heures.

Quatre heures cinquante-neuf. Les aides-soignantes et les infirmières s'apprêtent à laisser la place aux équipes de jour, certains médecins viennent d'arriver, d'autres sont sur le point de repartir. Le service des urgences semble encore endormi, il faut en profiter, l'accalmie ne dure en général pas plus de trois heures. La journée sera longue, mais après il faudra enchaîner sur une autre nuit, presque identique à celle-ci...

21 aout 2009

Publicité
Publicité
8 mai 2009

La Nuit des Clés Dansantes - Intro.

La Nuit des clés dansantes

Introduction

La pièce irradiait de clarté. La sphère de lumière qui l'éclairait était suspendue au haut plafond et se balançait dans un rythme lent et régulier. Les murs étaient blanc cassé, et l'unique porte, sans poignée apparente, était bien dissimulée. La forme de la salle elle-même était ronde, et bien qu'elle ne soit pas immense, l'absence de meuble semblait l'agrandir démesurément.

Les occupants ne devaient pas être plus de huit ou neuf, majoritairement des jeunes hommes, habillés de tissus chatoyants au couleurs chaudes et claires. Ils étaient immobiles, en cercle, les bras écartés, leurs mains se frôlant, et restaient silencieux, le regard dans le vague. Au centre du cercle se tenait une jeune femme, dont le visage était dissimulé par la capuche de sa cape rouge carmin. Deux autres femmes, de taille un peu plus grande, marchaient le long des murs de la salle, le regard fixant le sol. Elles étaient vêtues de toges qui ressemblaient à celles des hommes, à part que les leur comportaient un symbole brodé en noir sur la poitrine, formé d'une clé dont on ne voyait que le manche, l'autre partie étant enfoncée dans ce qui semblait être une petite sphère.

Les hommes semblaient parfaitement immobiles, jusqu'à ce que la jeune femme au centre se décide à joindre ses mains devant elle. Elle murmura quelques mots, et ils relevèrent la tête, observant le moindre de ses gestes avec fascination. La femme écarta ses mains et les leva doucement vers le haut, son dos se tendant peu à peu. Ses murmures devinrent plus forts et on pu mieux entendre ses paroles presque frénétiques, prononcées dans une langue pleine de sonorités graves. A un instant, le débit de mots se fit plus lent, et on pu voir plusieurs fils bleu électrique relier ses doigts. Alors, elle rapprocha ses mains, murmura encore, plus lentement qu'auparavant. Les fils se lièrent entre eux, formant une sphère un peu allongée, puis elle rapprocha encore ses doigts, permettant à la sphère d'avoir une forme parfaite.

Les hommes semblaient attendre cet instant. Ils se mirent à chantonner à voix basse, certains se balançant d'avant en arrière, parfois de manière imperceptible. La fascination qu'ils ressentaient s'accrût, et, lorsque leur chant prit fin, la sphère bleue tenue par la jeune femme éclata, ne laissant aucune trace d'elle. Elle enleva alors sa capuche, révélant une chevelure blonde et un jeune visage. Très jeune, d'ailleurs, elle ne devait pas avoir plus de quatorze ou quinze ans.

L'adolescente balaya la salle du regard, tournant sur elle même pour pouvoir croiser le regard de chacun des occupants de la pièce. Puis elle adressa un signe de tête aux deux femmes dans le fond, qui n'avaient pas cessé leur étrange promenade, avant de se diriger vers un des hommes du cercle. Ce mouvement sembla provoquer la fin du rituel : les autres hommes rompirent le cercle, s'éparpillèrent un peu et l'un d'eux rejoignit le duo formé par l'adolescente et son camarade. Les deux hommes passèrent alors leurs bras sous les aisselles de la jeune femme, avec une douceur soigneuse, puis la guidèrent vers la porte qui s'ouvrit automatiquement. Ils sortirent tous les trois en même temps, suivis par le reste des personnes présentes.

12 Février 2009

16 avril 2009

Défi n°2 - "Vengeance"

Défi d'Ed

Le principe : écrire un texte comprenant les mots suivants, issus de la recette des Feuilletés au boeuf et aux amandes :

revenir - remuer - émietter - blondir - étaler - huiler - replier - couvrir

Le texte peut aborder tous les thèmes, sauf la cuisine. L'écriture doit durer moins d'une demi-heure, et être faite de préférence d'une traite.

Voilà ma contribution, écrit en un petit quart d'heure, sur un coup de tête, une idée qui me passait par là. =D

Il avait prévu de lui faire du mal. Beaucoup de mal. Il faut dire qu'il lui en voulait, bien plus qu'il n'en avait jamais voulu à qui que ce soit. Mais elle avait émietté leur histoire comme si de rien n'était, comme si il n'avait servi à rien d'autre qu'à la couvrir quand elle faisait des conneries. Ah, les mécaniques qu'elle avait longuement huilé n'avaient servi à rien, elle avait fini par se trahir ! Et bien, tant pis pour elle. Il se vengerait.

Dès qu'elle reviendrait, il l'attraperait, par les deux mains, et pour la première fois depuis qu'ils se connaissaient, il utiliserait sa force contre elle. Son étreinte amoureuse se transformerait rapidement en baiser mortel, il replierait ses bras autour d'elle comme un aigle referme ses serres sur une proie. Ah, elle s'était moquée de lui ? Elle allait voir, elle allait morfler...

Peut être qu'elle demanderait ce qui lui prenait soudain, et alors il cracherait par terre, de rage. Il la secouerait, violemment, et il hurlerait tout ce qu'il avait contenu en lui depuis le début. Il s'était toujours parfaitement comporté avec elle : elle s'était jouée de lui, elle le méritait ! Avec des mots, il remuerait en elle des souvenirs voilés. Elle souffrirait, oh, elle aurait mal, et alors lui serait heureux, peut être même davantage qu'il ne l'avait jamais été avec elle. Il jouirait, et pour de vrai, cette fois. Elle ne pourrait plus se ficher de lui, plus jamais ! Il espérait même que la peur ferait blondir ses lourds cheveux bruns. Il éclaterait de rire, et là, à cet instant précis, elle se mettrait à pleurer de terreur.

Plus tard, bien plus tard, il étalerait son sang par terre, exactement à l'endroit où ils s'étaient rencontrés la première fois.

9 avril 2009

Forever Young - Alphaville.

La jeune femme gare la voiture, un créneau bien réussi, puis éteint le moteur. Elle enleve l'élastique maintenant ses cheveux en queue de cheval et le passe autour de son poignet, puis sort de la voiture. Elle a une apparence jeune : un jean, des chaussures de ville, une chemise claire échancrée. Petite taille, cheveux roux.

De la voiture sortent deux enfants, puis un homme, côté passager. Il est plus grand, les enfants sont agités, il a du mal à les tenir en place, ils sautent de tous les côtés en jetant des regards partout autour.

« C'est là que tu as grandi, maman, dit ? »

« Non, pas exactement à cet endroit, mais c'est dans ce coin, oui. »

Sourire échangé par le couple. Ils quittent la place près de laquelle elle s'est garée, laissant là leur voiture particulièrement cabossée, puis se dirigent, guidés par la femme, vers un joli parc dans lequel grouille une population rappelant les vacances d'été. Elle sourit en voyant un groupe de lycéens s'installer dans l'herbe et démarrer un pique nique gargantuesque.

« Ca n'a presque pas changé, ici... »

L'homme ironise :

« Parce que tu as changé, toi ? »

Ils éclatent de rire, et elle répond avec un air un peu nostalgique.

« Pas vraiment. »

Elle n'en rajoute pas, lançant un regard à ses deux enfants qui s'ébattent comme des poulains découvrant le pré. Ils courent, crient, tournent autour de leurs parents qui marchent dans une direction donnée. L'homme reprend la parole. Il voit bien qu'elle est plongée dans ses pensées mais il est curieux :

« Tu venais souvent avec tes amis, ici ? »

« Une année, surtout... J'en garde des souvenirs très forts, surtout. Si tu savais tous les bons moments qu'on a passés ici... »

Encore une fois, sa voix se perd dans le méandre de ses pensées. Elle ne rajoute rien, il n'ose pas insister, préférant soudain contempler ce beau paysage qu'il n'a jamais vu. Ils marchent en silence, proches l'un de l'autre mais sans se toucher, écoutant avec délectation les cris de joie de leurs enfants. Cris qui changent à l'arrivée à une grille :

« Vous voulez dire qu'on va monter tout là haut ? »

« C'est une blague ? »

« Ah nan hein, il fait chaud, j'ai mal au pieds ! »

« Et moi, je suis fatigué... »

Les deux parents soupirent. Échangent un regard. Par habitude, ils savent que les gamins sont bornés et que, s'ils s'allient, ils sont presque indomptables. Elle se souvient que la marche est longue, alors elle propose que lui les emmène dans un café et qu'elle les rejoigne dans quelques heures. Il ne paraît pas inquiet, il a compris que c'était important pour elle d'aller tout en haut, et les enfants adhèrent avec joie. Le groupe se sépare donc et elle commence sa marche soutenue vers le haut.

Elle avance tout droit. Seule, elle peut mieux entendre ses pensées. Cet endroit lui rappelle une telle multitude de souvenirs qu'elle en a le cœur serré. Les images dansent dans sa tête, les noms, les visages lui reviennent soudainement... Éclats de rire, réprimandes, phrases de professeurs. C., M., M., C., F., H., I., Q., N., E., P., L., J., A-S., E., P., J., V., R., Y., V., V., A., S., G., A., C., M., S., F., L., E. et beaucoup d'autres lui reviennent en tête. Des moments passés ensemble, des disputes, des soirées, des sorties. Des déchirures et des passions, de magnifiques envolées et quelques dégringolades. En un temps qui lui paraît durer plusieurs jours, durant la montée, en fait, trois ans repassent dans sa tête. Les fois où les uns et les autres ont craqué, les fous rires, les larmes, les notes, les joies, le lycée. Les longues réflexions, les trajets en bus, les heures de perm', les cours de maths, les moments passés à la cafétéria, la file de la cantine, le mercredi après-midi. Elle ne sait pas si elle a envie de pleurer où d'éclater de joie, mais elle arrive en haut.

Alors elle se retourne. Elle dispose maintenant d'une vue magnifique sur tout le paysage environnant, on voit la ville, tout en bas. En plissant les yeux, on peut distinguer le château. Le ciel est d'un bleu limpide, les arbres paraissent toujours aussi innombrables. Même si elle vient de la monter, l'allée lui paraît immense.

Les souvenirs refluent encore, mais ils continuent de faire dérouler le temps de cette époque jusqu'à aujourd'hui, comme si en revenant ici, elle avait déclenché un processus. Elle se revoit en classe préparatoire, elle revoit sa galère, son découragement, le soutien apporté à ses camarades et par ses camarades, les amitiés qu'elle y a crées. Elle revoit les devoirs, les nuits blanches, le stress, le poids du classement, la tension, ses nerfs se jouant d'elle, son corps lâchant parfois prise, mais elle se rappelle aussi les bons moments. La solidarité entre les élèves, les soirées à réviser devant tellement de verres qu'ils n'en retenaient plus rien, les quelques soirées. Elle se rappelle que durant cette période, les liens crées au lycée se sont encore plus déliés, mais que certains, six ou sept, sont restés, indéfectibles.

Elle se souvient de l'horreur des concours, des gens tombés autour d'elle, de sa joie lorsqu'elle avait appris qu'elle était admissible à l'oral. Les examens oraux eux mêmes ont définitivement disparu de sa mémoire, mais le reste est là. Le plus important. Le bonheur éprouvé à l'entente de ses résultats. Le plaisir de ses trois années d'école. Sa rencontre avec celui qui est venu avec elle, aujourd'hui. Elle sourit.

En fait, ce qui la préoccupe à l'instant même, c'est ce que sont devenus ses anciens camarades de lycée. Maintenant, il lui en reste toujours. Elle téléphone régulièrement à l'un d'entre eux, et une autre lui envoie un mail par semaine. Elle est allée déjeuner chez un troisième le mois dernier, et une quatrième lui a envoyé une carte pour son dernier anniversaire. Contacts qu'elle s'efforce aussi d'entretenir, en souvenir de ces années pendant lesquelles ils ont tant changé.

Elle soupire, et se tourne pour marcher vers la forêt. Après un trajet de moins de cinq minutes, elle se retrouve seule, à genoux aux pieds d'un rocher. Ses mains commencent à se salir se terre, mais elle a oublié de ramener une pelle. Elle met une éternité à retrouver la boîte en ferraille, elle a bien rouillé maintenant, mais elle s'ouvre quand même, si on force un peu.

A l'intérieur, des photos, mais surtout quelques lettres. C'était il y a 20 ans, jour pour jour.

DSC00107

9 Avril 2009

5 avril 2009

Après tout...

« Je vais te dire, moi, ce qui nous ferait du bien. »

Nous étions, comme tous les dimanche depuis très longtemps, assis sur l'herbe au bord de la rivière, nos pieds déchaussés pendant presque jusqu'à la surface de l'eau sale.

« Ah oui ? » Répondis-je distraitement, m'attendant à une de ces réflexions bizarres qui la prenaient souvent.

Non, en fait nous ne nous étions pas trouvés assis ici depuis très longtemps. Depuis les dernières vacances de La Toussaint, peut être. Ou plus loin. Et nous étions en Juillet...

« Il faudrait qu'on mette les choses au clair. »

Je continuais de jouer distraitement avec quelques brins d'herbe sans relever. Alexane disait souvent des choses comme ça. Elle levait la voix, et elle disait qu'on devait arrêter, ou commencer. Ou repartir à zéro, ou encore qu'on devait se dire nos quatre vérités. Des jolies phrases. A chaque fois, tout le monde acquiesçait et applaudissait, tout le monde était d'accord. On balançait quelques banalités, et puis on s'arrêtait là. Et on recommençait nos conneries, jusqu'à ce qu'elle nous dise encore qu'on devait « mettre les choses au clair ».

« Oui, tu as raison... »

Elle ne répondit pas. Intrigué, je levais les yeux vers elle, son regard me fixait. Je l'avais vexée. En soupirant, je continuais :

« Qu'est-ce que tu veux dire par là, exactement ? »

Je pensais qu'elle allait ressortir ce discours que j'avais entendu si souvent. Je pensais qu'elle allait me redire qu'il y avait un abcès à percer et que nous allions nous occuper de ça tout de suite. Mais non, elle eut une autre réaction.

« Tu n'est... Non, écoute, ça fait au moins deux ans qu'on ne s'est pas parlés, pour de vrai. Regarde ce que nous sommes devenus, tous. On s'envoie des piques les uns aux autres, on s'est totalement disloqués, plus grand chose ne nous lie, à part les rancunes que nous éprouvons. C'est... »

Le tremblement de sa voix me poussa à poser sa main sur son épaule. Son sourcil droit se haussait par spasmes, comme souvent lorsqu'elle était en colère. Je ne savais pas quoi dire, trop troublé par la justesse de ses paroles. Elle n'avait pas tord. Mais bon...

« Oui mais maintenant, tu sais, c'est fini, c'est trop tard... »

Elle se dégagea de ma main avec fureur.

« Je n'arrive pas à croire que toi, tu dises ça ! C'est toi, il y a trois ans, qui nous a ralliés, non ? C'était toi, le centre du groupe. C'est toi qui a toujours consolé tout le monde, c'est toi qui nous a calmés, c'est toi qui a fait baisser les tensions quand ça n'allait pas ! Et maintenant, tu oses me dire que c'est fini ? Qu'il n'y a plus rien à faire ? »

Elle tremblait de rage. Son ton était tranchant, sa voix forte, elle m'avait presque fait vaciller. Sous le poids de l'accusation, je rétorquais, poussé par le besoin de me défendre :

« C'est moi qui suis responsable, peut être ? Je n'ai rien fait, je te signale ! »

« Justement, tu n'as rien fait. Tu as laissé les liens se dissoudre sans agir, sans les secouer, sans... »

« J'étais responsable de vous ? »

Maintenant, c'était moi qui était en colère. Comment pouvait-elle tout me mettre sur le dos, alors que j'avais toujours tenté de préserver ce que je pouvais ? Alexane détourna ma question :

« Toujours est-il qu'aujourd'hui, tout le monde s'en veut... »

« Et alors ? Alexane, on a le bac, on s'en va dans deux mois, on ne se reverra peut être jamais, pour la plupart. Alors, à quoi bon tenter de tout recréer ? Pourquoi tu tiens tant à mettre ensemble des personnes qui ne le veulent pas ? »

Elle resta silencieuse, surprise par le ton plus qu'énervé que j'avais utilisé. Il est vrai que j'avais peut être abusé. Elle non plus n'avait rien fait de mal. Elle était juste tombée amoureuse, et je lui en voulais injustement pour ça. Qu'y pouvait-elle si elle était déjà en couple avec moi à l'époque ? Elle avait tenté de se le cacher, c'était moi qui avait fini par la convaincre de me quitter pour la rejoindre. Je voyais bien qu'elle n'avait plus envie de moi, alors à quoi bon ? Avisant sa mine défaite, je marmonnais :

« Désolé. Mais... »

Non, en fait, je n'avais rien de pertinent à dire.

« A ton avis, de qui est-ce la faute ? »

Je ne savais pas. Bien sûr. Probablement avions nous chacun une part de responsabilité dans cette affaire. Ou alors c'était la faute du système, comme nous aimions à le dire. Ou alors nous n'étions pas fait pour durer.

Je haussais les épaules. Je n'avais plus envie de me battre pour maintenir de telles amitiés. J'avais une année difficile à préparer, et je n'étais pas le seul. Et puis, je n'aimais pas le cours que prenait cette conversation, où plutôt le cours qu'elle risquait de prendre si nous la continuions. Aussi je me levais, époussetai l'herbe collée à mon jean, et la regardai, encore assise au bord de l'eau :

« Je suis désolée, je dois y aller. J'ai rendez-vous avec... »

Elle ferma les yeux.

« Va-t-en si tu veux. Je ne t'en garderai pas rancune. »

Honteux, je remis mes chaussures et je m'éloignais. J'avais l'impression de fuir lâchement. Ou alors j'avançais ?

5 Avril 2009

Publicité
Publicité
17 mars 2009

Monologue.

« J'avais quatorze ans, la première fois, tu sais. Ça fait mal, à cet âge, parce qu'on sait que c'est mal, on le sait, mais on ne sait pas quoi faire. On en entend parler à la télé, au collège, dans des prospectus, mais on ne rapporte pas tout ça à son propre cas. Alors on ne dit rien.

C'était mon beau-père. Ma mère était mariée avec depuis trois, quatre ans, je ne sais plus exactement. On s'entendait plutôt bien, on rigolait, il nous arrivait d'aller au cinéma tous les quatre, avec mon petit frère. D'ailleurs, c'était avec mon petit frère qu'il s'entendait le mieux, mais c'est normal, non, ce sont des hommes tous les deux, ils devaient avoir plein de choses à se dire, et puis depuis la mort de mon père, j'imagine que Luc devait être en manque de présence masculine. Enfin, tout ça n'a pas vraiment d'intérêt, mais c'est pour dire que ça se passait bien, avec lui.

Et puis, un peu après mes quatorze ans, un soir, il est entré dans ma chambre. Je ne savais pas ce qu'il voulait. Il s'est assis sur mon lit, à côté de moi, je ne m'attendais pas à ça, et puis il a passé un bras autour de mes épaules, est descendu.

La première fois qu'il ma réellement violée, c'était quelques semaines plus tard. Il entrait avant que ma mère ne rentre, elle travaillait très tard, à l'époque. Moi, je ne disais rien, je supportais sa présence en moi, je ne protestais pas. Peut être que j'étais bien trop terrifiée, ou pas. Je ne sais pas, je ne peux pas l'expliquer.

Je m'en voulais de ne rien dire. J'avais conscience que ce n'était pas bien, ce qu'il me faisait subir, mais je ne savais pas quoi faire. Ma mère était heureuse avec lui, ça n'était pas arrivé depuis la mort de notre père, et Luc l'aimait beaucoup, alors je ne pouvais pas briser le bonheur de tout le monde.

Ça a duré plusieurs années, jusqu'à mon départ de la maison, en fait. J'ai eu deux ou trois petits copains, entre quinze et dix-huit ans, ça ne passait pas très bien, mais avec chacun d'entre eux j'étais bloquée. Je ne pouvais pas les laisser me toucher. Ils ne comprenaient pas, souvent, parce que je n'ai jamais eu la force d'en parler avec l'un d'entre eux, ils n'ont jamais eu droit à la moindre explication, mais c'était comme ça, malgré tout l'amour que j'étais capable de leur porter, je ne pouvais pas. C'était comme si ce droit de les laisser toucher mon corps ne m'appartenait plus, comme si ce n'était pas moi qui décidait.

J'avais des amis, des amis très proches, comme on a souvent à cet âge, mais avec eux aussi, je ne pouvais pas en parler. Là, la raison était encore différente : pour moi, eux et ce qui se passait chez moi n'appartenaient pas au même monde, ils n'avaient absolument rien en commun.

Après ma terminale, je suis entrée en école. Un petit campus sympa, nous étions un peu plus d'une centaine dans la promo, je me suis vite fait quelques amis, il faut dire que j'étais particulièrement sociable. C'est là bas que j'ai rencontré Laurent.

Il était gentil, Laurent, très gentil. Le genre de garçon très populaire, plutôt beau, qui en général n'ont pas uniquement une bonne réputation. Mais on est sortis ensemble, d'une manière un peu précipitée. Le second soir, nous étions dans un bar, et j'ai bu, bu, moi qui d'habitude ne dépassait jamais deux verres, j'ai bu jusqu'à ne plus vraiment tenir debout. Ce soir là, il m'en emmenée dans sa chambre, mais nous n'avons pas couché ensemble. Je crois (il me l'a raconté plus tard) avoir été très provocatrice, pourtant, je le lui ai demandé, l'y ai incité à plusieurs reprises. Mais non, il m'a laissée cuver sur son lit, pendant qu'il lisait tranquillement, assis au sol.

Le lendemain matin, alors que j'étais prise par une incroyable migraine, il s'est assis en tailleur, en face de moi, et m'a longuement fixée. Puis il m'a demandé, d'une voix calme mais incroyablement ferme, pourquoi j'avais eu besoin de boire pour ça. Je ne le lui ai pas raconté, j'ai fondu en larmes. Il m'a laissée pleurer, longtemps.

Au fil des semaines, il a réussi à me faire cracher ce secret que je retenais depuis si longtemps. Il a été extraordinairement compréhensif, ne me réprimandant en aucun point, me laissant parler, m'arrêter, sangloter comme j'en avais envie, à mon rythme. Il n'a pas fait de commentaire particulier. Nous sommes restés encore un petit moment, et puis un jour, nous nous sommes séparés. D'un commun accord.

Cependant, j'ai gardé le contact avec lui, et il a réussi à me décider à parler à mon petit frère, d'abord. Il n'a pas voulu me croire. Il faut dire qu'avec les années, ses liens avec notre beau-père s'étaient encore renforcés et il refusait d'envisager la possibilité qu'il n'était pas le merveilleux homme avec lequel il allait pêcher toutes les semaines. J'ai essayé de le convaincre, j'ai remis le sujet au jour plusieurs fois, mais il a fini par se mettre vraiment en colère et m'a demander d'arrêter de lui raconter des conneries si je voulais encore qu'il me parle.

Alors j'ai essayé avec ma mère. Mon frère l'avait déjà mise au courant. Elle ne s'est pas fâchée, et a juste secoué la tête en soupirant. Et puis elle a murmuré : « Elisa, il faut toujours que tu attires l'attention sur toi... Tu ne veux pas essayer d'être gentille avec lui, un peu ? Il t'a pourtant élevée comme sa fille. »

Laurent, lui, continuait à me soutenir, c'était mon seul moyen de m'épancher, ma seule et unique soupape. Mais notre relation est restée amicale. Il a été celui qui m'a permis de parler, mais pas encore le premier.

Non, tu vois, le premier, ç'a été l'homme avec lequel je suis encore actuellement. Je l'ai rencontré un ou deux mois plus tard, dans un café, et dès que notre relation est devenue sérieuse, je lui ai expliqué, sans détours. Il a haussé les épaules et m'a dit de prendre mon temps, juste. On a fait l'amour dix jours plus tard. A partir de ce jour, il a considéré que le problème était réglé et qu'il n'y avait plus lieu d'en parler. Je crois qu'en fait, il avait peur, il était effrayé par mes sentiments et par mes propres inquiétudes. Mais nous sommes restés ensemble, et je l'aime encore ; il a toujours été adorable, vraiment. Mais nous n'avons plus abordé le sujet depuis cette époque.

Je l'aime, cet homme, et je l'aimais déjà à l'époque, dès le début. Maintenant, je suis encore un peu brouillée avec mon frère et ma mère mais j'ai renoncé à leur expliquer, et nous avons une fille, une grande fille de treize ans. J'ai peur pour elle, tu sais. J'ai peur qu'il lui arrive la même chose qu'à moi. Je refuse que nous dormions chez ma mère, ou qu'elle dorme chez moi, si il est avec elle. Mais il n'est pas la seule menace, pour moi, presque tous les hommes en sont une.

Mais, de cette peur et de toutes les autres, je n'arrive pas à en parler. Je n'ai personne avec qui aborder le sujet. Je préfère écarter la plupart de mes amis de tout ça, mon mari et ma famille refusent d'en entendre parler, notre fille n'a pas à entendre tout ça, je veux juste la mettre en garde. Heureusement que toi, tu es là. Je sais que je peux compter sur toi, tu es un parfait confident. Parce que tu ne répètes jamais ce que l'on te dit, et parce que tu ne me critiques jamais. En même temps, tu aurais du mal, tu ne parles pas.

Tu me diras, ça serait bizarre que tu parles, si tu le faisais, j'irai m'enfermer moi même dans un asile. Mais qui sait, je ne suis peut être pas la seule femme à faire comme moi. Peut être qu'en fait, en cachette, toutes les femmes parlent à leur plante verte préférée... »

Inspiré d'un texte de Juin 2008. - Ecrit le 17 Mars 2009.

16 mars 2009

Souffle

Le vent fait gonfler la voile, le ciel est d'un bleu limpide. L'odeur des embruns arrive au nez de l'homme massif debout à la barre, une main au dessus des yeux pour se masquer le soleil. Son regard est rivé sur la voile, observant les gonflements et la tension du tissu, décelant le moindre changement dans la pression du vent sur la voile.

A l'intérieur du carré, un autre homme est occupé. Il épluche des pommes de terre, avec un air quelque peu ennuyé. Ses pieds chaussés de vieilles chaussures de sport battent le sol en faux bois de matière rythmée, comme si c'était pour lui le seul moyen de se maintenir éveillé. Parce qu'il a les yeux qui se ferment, peut être a-t-il veillé toute la nuit passée ?

Dans une des deux cabines, une silhouette est enroulée dans un sac de couchage. Des cheveux noirs, fins, en sortent, il doit s'agir d'une femme.

Le quatrième passager est dans l'autre cabine, il ressort avec une paire de lunettes de soleil, qu'il enfile avant de remonter dans le cockpit. S'assoit à côté du barreur, contemple la voile. Prend la parole.

« Tu t'éloignes du pré. »

« Le vent est trop fort, nous allons nous mettre à contre si je me rapproche davantage. »

Pas de réponse. Le compagnon du barreur hausse les épaules, redescend dans le carré, s'assoit au bureau, jette un coup d'œil à des notes que quelqu'un a rédigées plus tôt. Remonte.

« Met le cap vers bâbord. Juste un peu, sinon on risque de se retrouver beaucoup trop loin. »

Le barreur hoche la tête, attend que son camarade ai attrapé un des bouts commandant la grand-voile, et appelle l'éplucheur de patate qui les rejoint pour prendre un autre bout, la manivelle à la main. Les deux hommes reportent leur regard sur le barreur.

« Paré à virer ? »

« Parés. »

Le barreur pousse la barre pour l'éloigner de lui, provoquant un changement dans tout l'alignement du bateau. La baume passe au dessus de la tête des trois hommes, manquant d'en assommer un au passage. L'éplucheur de patate hurle au troisième de choquer, et utilise sa manivelle pour border au mieux la grand voile dans sa nouvelle position. Le bateau change d'inclinaison, et se met à gîter de l'autre côté. Le tout sans tanguer. Les navigateurs échangent un regard satisfait. L'opération est répétée plusieurs fois par jour, toujours avec les mêmes sensations, la même adrénaline, le même plaisir.

Dans la cabine, la femme n'a pas été réveillée par le mouvement. Son corps a un peu cogné contre la paroi.

Celui qui épluchait revient à son poste, les deux autres restent dans le cockpit, assis sur la banquette de bois, l'un les yeux rivés sur la voile et le cap, l'autre regardant fixement l'eau et les petites vagues à sa surface. Le vent a l'air léger, beaucoup plus qu'il ne l'est.

Ce soir ils seront au port. Ils ne connaîtrons personne, comme d'habitude, mais ils ont de la charcuterie et quelques bouteilles de bière avec eux, alors ils rencontreront bien une équipe suffisamment sympathique pour partager une conversation. Ils se coucheront un peu avant minuit, parce que le lendemain, ils ont l'intention de partir à l'aube. La mer leur manquerait, sinon.

Pas seulement la mer. Le silence de l'humanité, le bruit des vagues, la presque solitude, l'espace malgré la nécessité de ne pouvoir marcher que dans peu d'espace, l'odeur du sel, la sensation du vent dans les oreilles et le visage. Mais surtout... Cette sensation de plénitude.

16 Mars 2009

7 mars 2009

Du progrès à faire, encore, toujours.

Je relis ce que j'ai écrit recemment, et je me rends compte que sur mes derniers textes, je me suis un peu laissée aller. Qu'importe, diraient certains, mais je suis perfectionniste sur certains points, et je reproche souvent parfois aux autres leurs problèmes de rythme. Alors, lorsque je me rends compte que celui de Clément laisse assez à désirer, je retrousse mes manches. Haha. Déjà, je corrigerais certainement ce dernier texte très bientôt (enfin, pas si tôt que ça, peut être, on verra...). Ensuite, je vais tenter de mettre en application des conseils que j'ai reçu d'un peu partout (surtout de J., en fait). Complexifier un peu mon style, ralentir mon rythme, prendre plus mon temps, et ce pour pouvoir ajouter quelques précisions, adjectifs et autres. Et tout ça sans alourdir le texte, attention. Je sens que ça va être drôle. xD

J'avance sur Existences, aussi, mais il y a des portraits que j'hésite un peu à faire lire. Tant pis. Je vais le faire quand même. =D Mais p'tet pas tout de suite.

2 mars 2009

Clément - Partie 2

Clément : 4 voix, Agathe : 2 voix. A la majorité...

 

Nous nous éloignâmes ainsi – ou plutôt, je m'éloignais de lui. Quelques semaines passèrent, pendant lesquelles ma colère ne baissait pas ; quand je les croisais en ville, j'étais furieuse. Je me forçais bien à ne pas leur adresser un seul regard, mais c'était plus fort que moi : à chaque fois, presque toutes les semaines, je voulais vérifier qu'il était bien là, quelque part, accroupi par terre, en train d'embellir le sol, et qu'elle était encore avec lui. A chaque fois, j'espérais vainement, et à chaque fois, je fut déçue : oui, elle était toujours là, et il progressait toujours. Maintenant, même de loin, j'avais l'impression que certains dessins allaient prendre vie et sortir du bitume. Une fois ou deux, l'admiration fut plus forte que la colère et je m'approchais davantage ; mais très peu, et je pris bien soin de ne pas croiser leur regard.

C'est au début du mois de mars que mon vœu fut exaucé : un samedi après-midi, alors que je rentrais du lycée, passant volontairement par un coin qu'il affectionnait, je remarquais son absence. Elle n'était pas là. C'était certain, il dessinait, c'était bien lui, lui et son éternelle boîte de craies, et Agathe était hors de vue. Je jetai quelques coups d'œil aux alentours, afin de ne pas me faire de fausse joie, puis je laissait mon cœur bondir : j'ignorais pourquoi, mais elle était partie ! Dans mon esprit, cette absence ponctuelle (après tout, elle aurait pu être juste allée leur chercher de l'eau ?) signifiait qu'ils n'étaient plus ensemble, et que je pourrais prendre sa place, que dès le lendemain, je m'assiérai à ses côtés, au milieu de ses traits, et que je lui passerais les craies. Emplie d'une joie que je n'avais pas ressentie depuis fort longtemps, je m'approchai un peu plus de lui, et alors un détail me frappa : il n'avait pas l'air bien heureux, lui.

Mais après tout, c'était peut-être normal, non ? On est rarement au sommet après une rupture amoureuse, et j'étais bien placée pour le savoir. Oh, mais moi, justement, j'étais là, pour lui... J'étais prête à l'écouter, à le consoler, à le rassurer, à faire tout ce qu'il me demanderait, pourvu que je puisse être à ses côtés lorsqu'il dessinait. Cependant, je ne vins pas lui parler – en fait, je ne savais pas quoi dire. Durant des semaines, ma rage avait enflé, et maintenant que son objet était absent, je ne pouvais l'effacer de ma tête aussi soudainement. C'est pourquoi je me contentais de faire comme autrefois, c'est à dire de rester à quelques mètres, presque immobile, à observer chacun de ses gestes. Il dessinait une licorne, aussi belle que ce qu'il faisait habituellement : sa robe était luisante, ses sabots d'or brillaient au soleil, et sa crinière virevoltait, de telle sorte qu'un instant, j' eu peur qu'un crin ne heurte l'œil de son créateur. Le regard de l'équidé était fou, loin de celui, sage et apaisé, que l'on réserve aux licornes habituellement : l'animal paraissait ressentir une détresse sans nom, une abominable douleur dont l'on ne se remet pas, comme s'il venait d'endurer toute la souffrance du monde.

Ma respiration marqua un temps d'arrêt. L'espace d'un instant, mon esprit sembla suffoquer puis mon corps reprit son rythme normal. Je n'avais jamais vu un tel dessin de la part de Clément. Il était déjà arrivé qu'ils expriment la tristesse, la douleur ou la rage, mais jamais, oh, jamais aucun n'avait été comme celui-ci, aussi brûlant et aussi poignant, et pourtant, je me considérais comme la personne ayant vu le plus de ses dessins. J'avais envie de pleurer. J'étais déstabilisée, choquée, au plus profond de moi même, je ne voulais pas savoir d'où venait le sentiment qu'il gravait sur le bitume. Je rentrai chez moi très vite, sans que nous eussions échangé le moindre regard.

Je revins quand même le lendemain, et le trouvai un peu plus loin ; encore une fois, il était seul. Il n'avait pas l'air beaucoup plus heureux que la veille, aussi je restais à une distance respectable, mais je remarquais rapidement qu'il était en train d'exécuter un portrait. La curiosité me prit et me força à rester sur place (avant, lorsque j'arrivais tôt et qu'il n'avait pas suffisamment avancé son œuvre pour qu'elle soit discernable, j'allais parfois boire un café pour laisser passer une heure), et j'attendis, le temps que les contours soient assez nets. Et, après plus de deux heures qu'il dépensa à gratter frénétiquement le sol, je la reconnu. Car c'était elle, la belle Agathe. Mon poing se serra lorsque je croisais le regard amusé du portrait, et je me mordis une lèvre, mais je me forçais à attendre encore un peu, le temps qu'il finisse ; je voulais savoir s'il allait la dessiner seule.

Il la dessina seul. J'attendis encore trois bonnes heures, le temps qu'il la peaufine, dans ses moindres détails. Il la soigna plus que je ne l'avais jamais vu soigner un dessin, et la jalousie remonta en moi de manière sinueuse, presque vicieuse, mais je restai. Je restai, j'attendis qu'il écrive quelques mots, lui qui ne signait jamais ses œuvres. Alors il rangea consciencieusement ses craies dans leur boîte, se leva, et croisa mon regard.

Il n'eut pas l'air surpris par ma présence – peut être qu'il savait que j'étais là depuis longtemps. Il ne me sourit pas. Il se contenta d'un léger signe du menton, pour me saluer, puis fit volte face pour me tourner le dos, et disparu rapidement dans les rues sinueuses qui bordaient la place sur laquelle il s'était installé. Je m'approchai alors du dessin, observait avec colère le visage de la jeune fille, parcourant du regard chacun de ses traits, marchant à côté des mèches de ses cheveux, avant de revenir vers le bas du portrait, là où il avait annoté quelques phrases. Ce que je lu me glaça :

«  A Agathe, ma sœur, décédée à la suite d'une crise d'asthme. »

2 mars 2009

2 mars 2009

Clément - Partie 1

Clément était doué.

C'est l'un des mots qui le définissait le mieux. Il avait du talent, un talent fascinant dont on sentait qu'il n'était pas encore à son apogée, un don qui s'épanouissait continuellement. Je l'admirais - je n'étais pas la seule, d'ailleurs. Il n'avait pas beaucoup d'amis, mais beaucoup admiraient ses œuvres. Moi qui traînait souvent autour du centre ville, je l'apercevais régulièrement, presque tous les jours : il s'exprimait. On eut dit, parfois, un démon, agité de façon frénétique, au fur et à mesure que l'inspiration lui venait ; à d'autres moments, il faisait davantage penser à un bel ange, dont la sérénité vous marquait pour la journée.

Un attroupement était souvent formé autour de lui, on l'observait en silence. Lui, il ne faisait attention à personne : sa boîte de craies était posée à côté de lui, et il les frottait continuellement par terre, pendant des heures, avec un acharnement qui aurait fait pâlir d'envie ses professeurs ; car je connaissais sa réputation en tant qu'élève. Il n'était pas de ceux qui perturbaient le cours, non, et il ne s'amusait pas non plus à ne rien faire : il essayait. Je l'ai vu, nous avons été, un an, dans la même classe : je l'ai vu de nombreuses fois commencer à copier le cours avec concentration, puis, à un instant (instant que je guettais avec une excitation croissante), il s'arrêtait brusquement, son stylo à quelques centimètres de la feuille, les yeux dans le vague. Il restait alors interdit quelques secondes, puis se mettait à crayonner frénétiquement sur le premier support qui lui venait : en l'occurrence, son cours, ou son devoir. Une fois où j'étais assise à côté de lui, je vis qu'il mettait en croquis ce qu'il dessinerait le soir, et cette habitude ne plaisait pas beaucoup au personnel du collège : il était régulièrement convoqué chez le principal, souvent avec l'assistante sociale. Ni l'un ni l'autre ne semblait comprendre ce qui arrivait à ce pauvre enfant : hyperactivité, autisme, et d'autres noms étranges furent prononcés à cette époque, mais personne ne fit de diagnostique satisfaisant.

Son problème ? Il dessinait. En permanence, dans sa tête, sur des feuilles, ou, ce qu'il semblait préférer, sur le sol. Ses boîtes de craies ne le quittaient jamais, et ce n'est pas faute des professeurs d'avoir tenté de lui confisquer... Je crois que s'il y avait pensé, il aurait proposé qu'on l'éviscère avec ses craies plutôt qu'on les lui enlève. Mais si l'on ne peut comprendre son attachement, il est au moins possible d'en profiter : c'est ainsi que me vint l'habitude de le suivre, tous les soirs, après les cours, pour aller jeter un œil à ses créations. Il choisissait un lieu, trottoir ou rue piétonne (je ne l'ai jamais vu dessiner sur la route, mais je ne peux pas garantir qu'il ne l'ai jamais fait), s'accroupissait, sortait ses craies, et semblait changer de monde : dès lors, plus rien n'existait. Il grattait avec frénésie, changeant parfois de couleur, traçait des lignes, coloraient de grandes parcelles, ne s'arrêtait que rarement pour reculer et observer son œuvre avant de reprendre. Les passants, eux, finissaient par prêter attention à cette silhouette prostrée sur le sol, pour admirer les couleurs qui s'étalaient autour de lui. Car soudain, les lignes gribouillées pendant les heures de cours devenaient portraits, paysages, animaux fantastiques ! Les contours étaient précis et nets, l'impression de justesse et de ressemblance flagrante. En voilà un qui mettait en application les délires du prof d'arts plastiques concernant les contrastes, la perspective et la lumière : à mes yeux, ses dessins étaient parfaits. Ce qui marquait le plus restait son étonnante passion, l'état de transe dans lequel il paraissait tomber lorsqu'il était à l'œuvre, mais le résultat était tout aussi beau.

Parfois il pleuvait. Les gouttes d'eau détruisaient ses créations, les faisant ressembler à une grande flaque multicolore ; il ne s'en souciait guère, et dénichait toujours un endroit abrité pour tout recommencer, avec une patience incroyable. Je le suivais à chaque fois, et je lui ai même, à l'occasion, trouvé moi même un nouveau terrain de jeu, lorsqu'il avait été chassé de celui sur lequel il avait jeté son dévolu.

Nous sommes tous les deux entrés dans le même lycée. J'ignore comment il a pu continuer dans une filière générale, d'ailleurs, au vu de son manque d'enthousiasme pour tout ce qu'on y faisait, mais il y est entré, dans une autre classe que la mienne. Je l'ai perdu de vue, ne le croisant que le mercredi ou le samedi, à l'occasion, quand mon emploi du temps me permettait de revenir en ville. Comme avant, je restais debout non loin de lui, et je l'observais en silence. Son talent semblait progresser, je trouvais que ses œuvres avaient de plus en plus de profondeur, qu'elles commençaient à dégager de réelles sensations, alors qu'avant, elles marquaient juste par leur beauté première. Ainsi, il m'est arrivé, deux ou trois fois, de ressentir, dans toute sa force, un sentiment tel que la souffrance, l'amour ou la joie, rien qu'en admirant l'un de ses dessins. Je finissais par l'aduler, lui et ses craies, et me mis à rester des après-midi entiers auprès de lui.

C'est autour du mois de novembre que je remarquais pour la première fois Agathe avec lui. C'était une fille assez connue dans le lycée, Agathe : elle représentait la jeune fille modèle qui n'existe que dans les livres, à la fois extrêmement appréciée pour sa gentillesse et excellente élève. Elle semblait combiner toutes les qualités, à la fois drôle, intelligente et modeste. Je lui avais parlé plusieurs fois, en permanence ou entre deux cours, et je dois avouer qu'elle méritait sa réputation. Mais que faisait-elle donc avec lui, si distant et si imperméable à la fois ? Et surtout, comment avait-elle réussi un tel coup de maître ?

Car ce qui m'a choquée, ce fut de la voir aussi proche de lui. Je ne les avais jamais vus ensemble, et tout d'un coup, un samedi ensoleillé, elle était assise à côté de lui. Assise. Entre ses craies et lui. Il ne prêtait aucune attention à elle, et dessinait comme à son habitude, mais à un moment, lui qui n'avait jamais fait confiance à quiconque pour ne serait-ce que poser le regard sur la boîte, je l'entendis murmurer « Passe moi une bleue. ». Il lui tendit, dans le même temps, une craie écarlate, et je compris ce qu'allait faire Agathe, mais la regardais faire douloureusement. Elle récupéra la craie qu'il lui tendait, la posa dans la petite boîte en carton et chercha un instant celle qu'elle devait lui rendre ; puis, lorsqu'elle l'eut trouvée, elle la sortit avec fierté et la posa dans le creux de la main de Clément, sans rien dire.

Je suis restée stupéfiée quelques longues minutes, observant avec horreur la craie d'un bleu aussi clair que le ciel offrir ses couleurs au bitume sale. J'ai croisé le regard d'Agathe, elle m'a sourit, mais elle ne s'est pas levée pour me saluer, et ne pas non plus proposée de venir les rejoindre. Elle était dans son monde, désormais.

J'ai cessé de venir l'admirer, trop en colère pour accepter qu'il l'ai choisie, elle. Bien sûr, je pouvais comprendre qu'elle était plus jolie que moi, qu'elle avait plus de conversation, qu'elle était plus parfaite que moi, en somme. Mais elle, l'avait-elle observé des jours durant, ces deux dernières années ? L'avait-elle admiré jusqu'à ce que la nuit tombe, presque tous les jours de l'année ? Lui avait-elle seulement une fois trouvé un emplacement pour qu'il puisse s'exprimer malgré la pluie ? Je ne l'avais jamais vue avec lui avant ce jour maudit, jamais. Et pourtant, soudainement, elle s'était vue offrir le droit d'être invitée au milieu de ses chatoyants tapis colorés, alors que j'en étais toujours restée bien à l'extérieur. Il me vint à l'esprit qu'ils s'étaient peut être rapprochés au lycée, ou autre part, mais je chassais vite cette idée, inconcevable puisqu'il avait toujours passé le plus clair de son temps accroupi par terre, sous mes yeux.

Je ne passais donc plus mes journées libres à l'observer, mais je le croisais à l'occasion. Son dessin n'avait pas changé, son style continuait de progresser, son trait s'épanouissait toujours davantage ; et elle était toujours à ses côtés. Parfois même, je la vis assise en tailleur, la boîte de craies négligemment posée sur ses genoux. La jalousie me prit encore et je m'éloignais vite, trop malheureuse pour supporter cette vision plus longtemps.

2 Mars 2009.

Je me suis arrêtée à ce point. Non pas que le texte soit terminé, mais je me retrouve face à un dilemme. En effet, j'avais, dès le départ, une esquisse de ce que serait la fin dans ma tête, et cette esquisse me plait beaucoup ; seulement, un autre croquis est venu se proposer à moi, et je ne sais faire le choix entre les deux. C'est donc à vous que je m'adresse : préferez-vous recevoir les phrases finales d'Agathe ou de Clément ?

Publicité
Publicité
1 2 > >>
Publicité