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Plumes
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9 avril 2009

Forever Young - Alphaville.

La jeune femme gare la voiture, un créneau bien réussi, puis éteint le moteur. Elle enleve l'élastique maintenant ses cheveux en queue de cheval et le passe autour de son poignet, puis sort de la voiture. Elle a une apparence jeune : un jean, des chaussures de ville, une chemise claire échancrée. Petite taille, cheveux roux.

De la voiture sortent deux enfants, puis un homme, côté passager. Il est plus grand, les enfants sont agités, il a du mal à les tenir en place, ils sautent de tous les côtés en jetant des regards partout autour.

« C'est là que tu as grandi, maman, dit ? »

« Non, pas exactement à cet endroit, mais c'est dans ce coin, oui. »

Sourire échangé par le couple. Ils quittent la place près de laquelle elle s'est garée, laissant là leur voiture particulièrement cabossée, puis se dirigent, guidés par la femme, vers un joli parc dans lequel grouille une population rappelant les vacances d'été. Elle sourit en voyant un groupe de lycéens s'installer dans l'herbe et démarrer un pique nique gargantuesque.

« Ca n'a presque pas changé, ici... »

L'homme ironise :

« Parce que tu as changé, toi ? »

Ils éclatent de rire, et elle répond avec un air un peu nostalgique.

« Pas vraiment. »

Elle n'en rajoute pas, lançant un regard à ses deux enfants qui s'ébattent comme des poulains découvrant le pré. Ils courent, crient, tournent autour de leurs parents qui marchent dans une direction donnée. L'homme reprend la parole. Il voit bien qu'elle est plongée dans ses pensées mais il est curieux :

« Tu venais souvent avec tes amis, ici ? »

« Une année, surtout... J'en garde des souvenirs très forts, surtout. Si tu savais tous les bons moments qu'on a passés ici... »

Encore une fois, sa voix se perd dans le méandre de ses pensées. Elle ne rajoute rien, il n'ose pas insister, préférant soudain contempler ce beau paysage qu'il n'a jamais vu. Ils marchent en silence, proches l'un de l'autre mais sans se toucher, écoutant avec délectation les cris de joie de leurs enfants. Cris qui changent à l'arrivée à une grille :

« Vous voulez dire qu'on va monter tout là haut ? »

« C'est une blague ? »

« Ah nan hein, il fait chaud, j'ai mal au pieds ! »

« Et moi, je suis fatigué... »

Les deux parents soupirent. Échangent un regard. Par habitude, ils savent que les gamins sont bornés et que, s'ils s'allient, ils sont presque indomptables. Elle se souvient que la marche est longue, alors elle propose que lui les emmène dans un café et qu'elle les rejoigne dans quelques heures. Il ne paraît pas inquiet, il a compris que c'était important pour elle d'aller tout en haut, et les enfants adhèrent avec joie. Le groupe se sépare donc et elle commence sa marche soutenue vers le haut.

Elle avance tout droit. Seule, elle peut mieux entendre ses pensées. Cet endroit lui rappelle une telle multitude de souvenirs qu'elle en a le cœur serré. Les images dansent dans sa tête, les noms, les visages lui reviennent soudainement... Éclats de rire, réprimandes, phrases de professeurs. C., M., M., C., F., H., I., Q., N., E., P., L., J., A-S., E., P., J., V., R., Y., V., V., A., S., G., A., C., M., S., F., L., E. et beaucoup d'autres lui reviennent en tête. Des moments passés ensemble, des disputes, des soirées, des sorties. Des déchirures et des passions, de magnifiques envolées et quelques dégringolades. En un temps qui lui paraît durer plusieurs jours, durant la montée, en fait, trois ans repassent dans sa tête. Les fois où les uns et les autres ont craqué, les fous rires, les larmes, les notes, les joies, le lycée. Les longues réflexions, les trajets en bus, les heures de perm', les cours de maths, les moments passés à la cafétéria, la file de la cantine, le mercredi après-midi. Elle ne sait pas si elle a envie de pleurer où d'éclater de joie, mais elle arrive en haut.

Alors elle se retourne. Elle dispose maintenant d'une vue magnifique sur tout le paysage environnant, on voit la ville, tout en bas. En plissant les yeux, on peut distinguer le château. Le ciel est d'un bleu limpide, les arbres paraissent toujours aussi innombrables. Même si elle vient de la monter, l'allée lui paraît immense.

Les souvenirs refluent encore, mais ils continuent de faire dérouler le temps de cette époque jusqu'à aujourd'hui, comme si en revenant ici, elle avait déclenché un processus. Elle se revoit en classe préparatoire, elle revoit sa galère, son découragement, le soutien apporté à ses camarades et par ses camarades, les amitiés qu'elle y a crées. Elle revoit les devoirs, les nuits blanches, le stress, le poids du classement, la tension, ses nerfs se jouant d'elle, son corps lâchant parfois prise, mais elle se rappelle aussi les bons moments. La solidarité entre les élèves, les soirées à réviser devant tellement de verres qu'ils n'en retenaient plus rien, les quelques soirées. Elle se rappelle que durant cette période, les liens crées au lycée se sont encore plus déliés, mais que certains, six ou sept, sont restés, indéfectibles.

Elle se souvient de l'horreur des concours, des gens tombés autour d'elle, de sa joie lorsqu'elle avait appris qu'elle était admissible à l'oral. Les examens oraux eux mêmes ont définitivement disparu de sa mémoire, mais le reste est là. Le plus important. Le bonheur éprouvé à l'entente de ses résultats. Le plaisir de ses trois années d'école. Sa rencontre avec celui qui est venu avec elle, aujourd'hui. Elle sourit.

En fait, ce qui la préoccupe à l'instant même, c'est ce que sont devenus ses anciens camarades de lycée. Maintenant, il lui en reste toujours. Elle téléphone régulièrement à l'un d'entre eux, et une autre lui envoie un mail par semaine. Elle est allée déjeuner chez un troisième le mois dernier, et une quatrième lui a envoyé une carte pour son dernier anniversaire. Contacts qu'elle s'efforce aussi d'entretenir, en souvenir de ces années pendant lesquelles ils ont tant changé.

Elle soupire, et se tourne pour marcher vers la forêt. Après un trajet de moins de cinq minutes, elle se retrouve seule, à genoux aux pieds d'un rocher. Ses mains commencent à se salir se terre, mais elle a oublié de ramener une pelle. Elle met une éternité à retrouver la boîte en ferraille, elle a bien rouillé maintenant, mais elle s'ouvre quand même, si on force un peu.

A l'intérieur, des photos, mais surtout quelques lettres. C'était il y a 20 ans, jour pour jour.

DSC00107

9 Avril 2009

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