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Plumes
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16 mars 2009

Souffle

Le vent fait gonfler la voile, le ciel est d'un bleu limpide. L'odeur des embruns arrive au nez de l'homme massif debout à la barre, une main au dessus des yeux pour se masquer le soleil. Son regard est rivé sur la voile, observant les gonflements et la tension du tissu, décelant le moindre changement dans la pression du vent sur la voile.

A l'intérieur du carré, un autre homme est occupé. Il épluche des pommes de terre, avec un air quelque peu ennuyé. Ses pieds chaussés de vieilles chaussures de sport battent le sol en faux bois de matière rythmée, comme si c'était pour lui le seul moyen de se maintenir éveillé. Parce qu'il a les yeux qui se ferment, peut être a-t-il veillé toute la nuit passée ?

Dans une des deux cabines, une silhouette est enroulée dans un sac de couchage. Des cheveux noirs, fins, en sortent, il doit s'agir d'une femme.

Le quatrième passager est dans l'autre cabine, il ressort avec une paire de lunettes de soleil, qu'il enfile avant de remonter dans le cockpit. S'assoit à côté du barreur, contemple la voile. Prend la parole.

« Tu t'éloignes du pré. »

« Le vent est trop fort, nous allons nous mettre à contre si je me rapproche davantage. »

Pas de réponse. Le compagnon du barreur hausse les épaules, redescend dans le carré, s'assoit au bureau, jette un coup d'œil à des notes que quelqu'un a rédigées plus tôt. Remonte.

« Met le cap vers bâbord. Juste un peu, sinon on risque de se retrouver beaucoup trop loin. »

Le barreur hoche la tête, attend que son camarade ai attrapé un des bouts commandant la grand-voile, et appelle l'éplucheur de patate qui les rejoint pour prendre un autre bout, la manivelle à la main. Les deux hommes reportent leur regard sur le barreur.

« Paré à virer ? »

« Parés. »

Le barreur pousse la barre pour l'éloigner de lui, provoquant un changement dans tout l'alignement du bateau. La baume passe au dessus de la tête des trois hommes, manquant d'en assommer un au passage. L'éplucheur de patate hurle au troisième de choquer, et utilise sa manivelle pour border au mieux la grand voile dans sa nouvelle position. Le bateau change d'inclinaison, et se met à gîter de l'autre côté. Le tout sans tanguer. Les navigateurs échangent un regard satisfait. L'opération est répétée plusieurs fois par jour, toujours avec les mêmes sensations, la même adrénaline, le même plaisir.

Dans la cabine, la femme n'a pas été réveillée par le mouvement. Son corps a un peu cogné contre la paroi.

Celui qui épluchait revient à son poste, les deux autres restent dans le cockpit, assis sur la banquette de bois, l'un les yeux rivés sur la voile et le cap, l'autre regardant fixement l'eau et les petites vagues à sa surface. Le vent a l'air léger, beaucoup plus qu'il ne l'est.

Ce soir ils seront au port. Ils ne connaîtrons personne, comme d'habitude, mais ils ont de la charcuterie et quelques bouteilles de bière avec eux, alors ils rencontreront bien une équipe suffisamment sympathique pour partager une conversation. Ils se coucheront un peu avant minuit, parce que le lendemain, ils ont l'intention de partir à l'aube. La mer leur manquerait, sinon.

Pas seulement la mer. Le silence de l'humanité, le bruit des vagues, la presque solitude, l'espace malgré la nécessité de ne pouvoir marcher que dans peu d'espace, l'odeur du sel, la sensation du vent dans les oreilles et le visage. Mais surtout... Cette sensation de plénitude.

16 Mars 2009

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