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Plumes
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17 mars 2009

Monologue.

« J'avais quatorze ans, la première fois, tu sais. Ça fait mal, à cet âge, parce qu'on sait que c'est mal, on le sait, mais on ne sait pas quoi faire. On en entend parler à la télé, au collège, dans des prospectus, mais on ne rapporte pas tout ça à son propre cas. Alors on ne dit rien.

C'était mon beau-père. Ma mère était mariée avec depuis trois, quatre ans, je ne sais plus exactement. On s'entendait plutôt bien, on rigolait, il nous arrivait d'aller au cinéma tous les quatre, avec mon petit frère. D'ailleurs, c'était avec mon petit frère qu'il s'entendait le mieux, mais c'est normal, non, ce sont des hommes tous les deux, ils devaient avoir plein de choses à se dire, et puis depuis la mort de mon père, j'imagine que Luc devait être en manque de présence masculine. Enfin, tout ça n'a pas vraiment d'intérêt, mais c'est pour dire que ça se passait bien, avec lui.

Et puis, un peu après mes quatorze ans, un soir, il est entré dans ma chambre. Je ne savais pas ce qu'il voulait. Il s'est assis sur mon lit, à côté de moi, je ne m'attendais pas à ça, et puis il a passé un bras autour de mes épaules, est descendu.

La première fois qu'il ma réellement violée, c'était quelques semaines plus tard. Il entrait avant que ma mère ne rentre, elle travaillait très tard, à l'époque. Moi, je ne disais rien, je supportais sa présence en moi, je ne protestais pas. Peut être que j'étais bien trop terrifiée, ou pas. Je ne sais pas, je ne peux pas l'expliquer.

Je m'en voulais de ne rien dire. J'avais conscience que ce n'était pas bien, ce qu'il me faisait subir, mais je ne savais pas quoi faire. Ma mère était heureuse avec lui, ça n'était pas arrivé depuis la mort de notre père, et Luc l'aimait beaucoup, alors je ne pouvais pas briser le bonheur de tout le monde.

Ça a duré plusieurs années, jusqu'à mon départ de la maison, en fait. J'ai eu deux ou trois petits copains, entre quinze et dix-huit ans, ça ne passait pas très bien, mais avec chacun d'entre eux j'étais bloquée. Je ne pouvais pas les laisser me toucher. Ils ne comprenaient pas, souvent, parce que je n'ai jamais eu la force d'en parler avec l'un d'entre eux, ils n'ont jamais eu droit à la moindre explication, mais c'était comme ça, malgré tout l'amour que j'étais capable de leur porter, je ne pouvais pas. C'était comme si ce droit de les laisser toucher mon corps ne m'appartenait plus, comme si ce n'était pas moi qui décidait.

J'avais des amis, des amis très proches, comme on a souvent à cet âge, mais avec eux aussi, je ne pouvais pas en parler. Là, la raison était encore différente : pour moi, eux et ce qui se passait chez moi n'appartenaient pas au même monde, ils n'avaient absolument rien en commun.

Après ma terminale, je suis entrée en école. Un petit campus sympa, nous étions un peu plus d'une centaine dans la promo, je me suis vite fait quelques amis, il faut dire que j'étais particulièrement sociable. C'est là bas que j'ai rencontré Laurent.

Il était gentil, Laurent, très gentil. Le genre de garçon très populaire, plutôt beau, qui en général n'ont pas uniquement une bonne réputation. Mais on est sortis ensemble, d'une manière un peu précipitée. Le second soir, nous étions dans un bar, et j'ai bu, bu, moi qui d'habitude ne dépassait jamais deux verres, j'ai bu jusqu'à ne plus vraiment tenir debout. Ce soir là, il m'en emmenée dans sa chambre, mais nous n'avons pas couché ensemble. Je crois (il me l'a raconté plus tard) avoir été très provocatrice, pourtant, je le lui ai demandé, l'y ai incité à plusieurs reprises. Mais non, il m'a laissée cuver sur son lit, pendant qu'il lisait tranquillement, assis au sol.

Le lendemain matin, alors que j'étais prise par une incroyable migraine, il s'est assis en tailleur, en face de moi, et m'a longuement fixée. Puis il m'a demandé, d'une voix calme mais incroyablement ferme, pourquoi j'avais eu besoin de boire pour ça. Je ne le lui ai pas raconté, j'ai fondu en larmes. Il m'a laissée pleurer, longtemps.

Au fil des semaines, il a réussi à me faire cracher ce secret que je retenais depuis si longtemps. Il a été extraordinairement compréhensif, ne me réprimandant en aucun point, me laissant parler, m'arrêter, sangloter comme j'en avais envie, à mon rythme. Il n'a pas fait de commentaire particulier. Nous sommes restés encore un petit moment, et puis un jour, nous nous sommes séparés. D'un commun accord.

Cependant, j'ai gardé le contact avec lui, et il a réussi à me décider à parler à mon petit frère, d'abord. Il n'a pas voulu me croire. Il faut dire qu'avec les années, ses liens avec notre beau-père s'étaient encore renforcés et il refusait d'envisager la possibilité qu'il n'était pas le merveilleux homme avec lequel il allait pêcher toutes les semaines. J'ai essayé de le convaincre, j'ai remis le sujet au jour plusieurs fois, mais il a fini par se mettre vraiment en colère et m'a demander d'arrêter de lui raconter des conneries si je voulais encore qu'il me parle.

Alors j'ai essayé avec ma mère. Mon frère l'avait déjà mise au courant. Elle ne s'est pas fâchée, et a juste secoué la tête en soupirant. Et puis elle a murmuré : « Elisa, il faut toujours que tu attires l'attention sur toi... Tu ne veux pas essayer d'être gentille avec lui, un peu ? Il t'a pourtant élevée comme sa fille. »

Laurent, lui, continuait à me soutenir, c'était mon seul moyen de m'épancher, ma seule et unique soupape. Mais notre relation est restée amicale. Il a été celui qui m'a permis de parler, mais pas encore le premier.

Non, tu vois, le premier, ç'a été l'homme avec lequel je suis encore actuellement. Je l'ai rencontré un ou deux mois plus tard, dans un café, et dès que notre relation est devenue sérieuse, je lui ai expliqué, sans détours. Il a haussé les épaules et m'a dit de prendre mon temps, juste. On a fait l'amour dix jours plus tard. A partir de ce jour, il a considéré que le problème était réglé et qu'il n'y avait plus lieu d'en parler. Je crois qu'en fait, il avait peur, il était effrayé par mes sentiments et par mes propres inquiétudes. Mais nous sommes restés ensemble, et je l'aime encore ; il a toujours été adorable, vraiment. Mais nous n'avons plus abordé le sujet depuis cette époque.

Je l'aime, cet homme, et je l'aimais déjà à l'époque, dès le début. Maintenant, je suis encore un peu brouillée avec mon frère et ma mère mais j'ai renoncé à leur expliquer, et nous avons une fille, une grande fille de treize ans. J'ai peur pour elle, tu sais. J'ai peur qu'il lui arrive la même chose qu'à moi. Je refuse que nous dormions chez ma mère, ou qu'elle dorme chez moi, si il est avec elle. Mais il n'est pas la seule menace, pour moi, presque tous les hommes en sont une.

Mais, de cette peur et de toutes les autres, je n'arrive pas à en parler. Je n'ai personne avec qui aborder le sujet. Je préfère écarter la plupart de mes amis de tout ça, mon mari et ma famille refusent d'en entendre parler, notre fille n'a pas à entendre tout ça, je veux juste la mettre en garde. Heureusement que toi, tu es là. Je sais que je peux compter sur toi, tu es un parfait confident. Parce que tu ne répètes jamais ce que l'on te dit, et parce que tu ne me critiques jamais. En même temps, tu aurais du mal, tu ne parles pas.

Tu me diras, ça serait bizarre que tu parles, si tu le faisais, j'irai m'enfermer moi même dans un asile. Mais qui sait, je ne suis peut être pas la seule femme à faire comme moi. Peut être qu'en fait, en cachette, toutes les femmes parlent à leur plante verte préférée... »

Inspiré d'un texte de Juin 2008. - Ecrit le 17 Mars 2009.

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