Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Plumes
Plumes
Publicité
Archives
26 février 2009

A trop lire Kafka, il nous vient, à l'occasion, une envie de l'imiter... "Lettre au père."

A mon très cher père,

J'ai parfaitement conscience que cette entame est tout ce qu'il y a de plus froid et je m'en excuse. Que te dire, à toi qui a passé plus de dix-sept ans en ma compagnie ? A vrai dire, j'ai eu envie de t'écrire, hier soir, pour lutter contre le sommeil, mais la paresse aidant, je n'ai finalement pas pris la feuille et le crayon qui m'aurait aidé à retenir ce que j'avais à te dire. Dommage.

Tout d'abord, j'ai parfaitement conscience qu'il est particulièrement incongru de remercier ses parents pour nous avoir éduqué, mais le fait de dépasser un peu des normes ne m'inspire plus de crainte. Je voudrais donc commencer par te remercier pour m'avoir permis d'être comme je le suis maintenant. Je voudrais te remercier pour ces heures que j'ai passées seule à la maison et pour ces jours où tu me traînais derrière toi pour aller voir quelques amis de voile. Sur l'instant, j'avoue, je n'ai pas du tout apprécié. J'ai râlé, pleuré, hurlé. Tu ne t'es pas énervé, jamais, mais je n'avais pas le choix. Je t'en voulais. Quelques années plus tard, j'en souris, ces petites anecdotes ont été vécues par énormément d'enfants, mais on les retient comme uniques.

Je te remercie pour m'avoir forcé à déployer des trésors d'imagination pour ne pas m'ennuyer lorsque j'étais seule à la maison, je te remercie pour m'avoir imposé ces soirs de solitudes, lorsque tu devais travailler tard et que j'avais oublié d'appeler une des étudiantes qui me gardait. Je t'en voulais de ne pas remplir ce que je savais être tes fonctions de père. J'étais certaine, déjà, à sept ou huit ans, que dans les autres familles, les enfants n'appelaient pas eux-mêmes leurs baby-sitters pour qu'ils viennent les garder. Je me doutais que j'étais l'une des seules dans la classe à savoir cuisiner, parce que je n'avais pas le choix si je voulais manger.

Je te remercie de m'avoir poussée à prendre mon indépendance, je te remercie de m'avoir considérée comme une personne dotée d'une véritable opinion, digne d'être entendue, alors que je n'avais pas encore dix ans. Je te remercie de m'avoir traînée partout, de m'avoir permis de rencontrer toutes sortes de gens. Je te remercie de m'avoir fait côtoyer cette foule d'hommes et femmes hyper-qualifiés en sciences, tes anciens camarades d'école. Je te remercie de m'avoir embarquée avec vous à chaque croisière et de m'avoir donné le gout de la voile et du large. Je te remercie d'avoir encouragé cette passion que j'ai maintenant pour la mer. Je te remercie pour toute la musique que tu m'a fait écouter.

J'ignore si j'ai aussi envie de te remercier pour ce demi frère que tu m'a imposé lorsque j'avais 10 ans, et aucune envie de jouer à la maman. Sept ans et demi après sa naissance, je ne sais toujours pas comment m'y prendre avec lui, j'ai peur de ce qu'il peut devenir, j'ai honte de ne pas être une véritable grande soeur. Je ne te remercie pas pour la femme dont tu es tombé amoureux, je ne te remercie pas pour ce déménagement en cours d'année, lorsque j'avais 13 ans. J'étais alors scolarisée dans un collège dans lequel je passais pour une surdouée parce que je savais lire couramment, je n'ai pas voulu en changer avant la prochaine rentrée scolaire. Pendant trois mois, je me suis levée à 5h30 tous les matins pour traverser la ville pendant plus d'une heure de bus. Ce n'est pas grave, j'ai fini l'année brillamment, après tout...

Je ne te remercie pas pour ces deux demi-soeurs avec lesquelles j'ai du apprendre à composer alors que j'avais vécu mes dix premières années seule avec toi, et les trois suivantes avec juste un petit garçon absent une semaine sur deux en plus. Je ne parlerais pas davantage d'elles ici, je les apprécie, je crois même pouvoir dire que je les aime. Je te remercie juste pour m'avoir permis de conserver mon indépendance.

Je te remercie de te montrer si confiant envers moi. Je te remercie de ne pas trop poser de questions. Je te remercie parce que je me rends peu à peu compte que face à toi, j'ai toujours ce que je veux.

Je te remercie d'être aussi peu présent, parce que ça m'arrange. Je suis juste contente que tu sois aussi silencieux en conduite accompagnée, parce que je n'aime pas qu'on me parle lorsque je conduit. Je regrette juste que tu n'arrives pas à me donner des instructions claires quand je galère à effectuer mes créneaux avec l'Espace.

Je suis contente que nous ayons partagé autant de lectures. J'ai beaucoup apprécié les discussions autour de Harry Potter, Orwell, Victor Hugo ou Balzac (que je n'ai jamais aimé, quoi que tu dises...). Et les autres.

J'en aurais, des choses à te reprocher, mais elle ne me concernent pas directement. Je déplore le comportement que tu as, parfois, avec les filles de la femme avec laquelle tu as voulu vivre. Je comprends qu'elles n'ont pas eu du tout la même éducation que moi, qu'elles ignorent totalement la conjugaison du verbe "se débrouiller" et qu'elles sont en tous points différentes de moi. Mais tu as le droit de les accepter. Je trouve dommage que, parfois, tu te comportes comme un adolescent capricieux, que tu t'énerves et que tu te laisses emporter. Je regrette que tes remarques les blessent autant parfois, et je regrette d'autant plus que c'est en général volontaire.

En fait, si, j’ai des choses à te reprocher. J’aurais voulu que tu repères tout ce qui a pu bouleverser mon existence. J’aurais voulu que tu te rendes compte de ce qui s’était passé, ou tout du moins que tu prennes conscience qu’il y avait un problème et qu’il ne s’agissait pas de la crise d’adolescence. Sur ce point, je t’en veux, et je ne pense pas te pardonner un jour.

Je t'en ai souvent voulu pour ton comportement désinvolte, voire méchant, à leur égard. J'ai pris sur moi, comme tout ce qui avait pu m'arriver avant. je me rappelle de ces quelques mois où j'avais des comportements paradoxaux avec toi. Je te haïssais parfois, pour ce que tu étais. Je t'aimais en même temps, pour les mêmes raisons. Je n'ai plus envie de m'en rappeler, je préfère la relation que nous entretenons aujourd'hui. Sereine. Lointaine, distante mais saine.

Dans un an, je partirai de la maison. J'ose espérer que ton comportement à la maison n'empirera pas lorsque je ne serais plus là pour jouer les adultes avec toi et te sermonner. J'aimerais que tu reprennes la place de grande personne que tu m'a donnée au fil des années. Je voudrais que tu te comportes en véritable beau-père avec elles, que tu essaie, au moins, de te montrer tolérant à leur égard. Elles sont jeunes, elles ont peur de l'avenir. Elles ont besoin, sinon de réconfort, au moins d'apaisement à la maison.

Néanmoins, je suis fière d'être ta fille. Je suis heureuse d'avoir pour père un homme brillant en mathématiques et physiques. Je suis fière lorsque ta mère me raconte que lorsque tu avais mon âge et que tu étais au lycée, tu lisais des livres que certains de tes professeurs ne comprenaient pas. Je suis fière lorsque je parle avec l'un de tes amis de voile et qu'ils m'affirment que tu es qualifié pour diriger un bateau, malgré ce que tu dit. Je suis fière lorsque l'un de tes collègues ou amis me confie que tu es toujours très modeste sur tes capacités. Bon, je n'ai hélas pas hérité de ce trait, je suis prétentieuse, exubérante et bruyante. Mais ce n'est pas grave, je n'ai aucune envie de changer.

Dans un an, je quitterais la maison dans laquelle j'ai parfois l'impression d'être locataire. Je crois que tu me manqueras.

3 Juillet 2008

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité